Une
Antigone de papier et Au fil
d’œdipe
deux
pièces par la compagnie Les Anges au plafond.
© Au fil d’œdipe, Compagnie Les anges au plafond
Ce
diptyque, en tournée depuis sa création en 2008, consiste en la
réadaptation de deux pièces classiques, dont la principale
originalité est le choix d'une mise en scène marionnettique,
éclairant d'une lumière nouvelle les problématiques inhérentes à
ces deux mythes, et en vive résonance avec notre actualité
politique et sociale. Loin d'être de simples poupées, les
marionnettes sont en effet partie prenante de tout un dispositif
scénique et scénographique extrêmement travaillé et d'une mise en
scène de qualité, qui font de ces spectacles des objets riches,
tant esthétiquement que sémantiquement, et dont la lecture
s'effectue à plusieurs niveaux. Les images, plastiques, nous content
à travers un dispositif immersif ingénieux l'évolution d'individus
se débattant parmi plusieurs enjeux politiques.
Les deux
pièces sont introduites de manière similaire : un projectile est
lancé dans une cible et un oiseau relativement comique entame alors
une sorte de prologue, en référence aux pièces antiques. Il
prévient d'ores-et-déjà le spectateur : ces projectiles sont le
symbole que la machine est lancée : l'engrenage du destin est
déclenché et ne pourra être arrêté. Les fils qui relient les
marionnettes d’œdipe aux cieux incléments et les ombres chinoises
permettant des jeux d'échelle entre le plateau et l'arrière-plan
ainsi que l'expression de visions cauchemardesques, symboliques ou
prémonitoires, participent de cet ancrage tragique. Cependant il
s'agit ici de « défroisser » et « démêler »
ces mythes et de remettre en jeu : si fatalité il y a vraiment,
alors quel rôle pouvons-nous encore jouer ?
La
manipulation, non divine, des personnages de chacune des pièces est
prise en charge par une seule personne, et quelque chose de fort
passe entre les manipulateurs et leurs poupées manipulées. Le
comédien prête sa voix, sa démarche et le mouvement à la
marionnette qui, une fois animée, lui offre en échange sa présence,
sa puissance d'évocation, son corps comme médiateur. Manipulateur
et manipulé ne font qu'un, et en même temps affirment chacun
l'existence de l'autre. Mais l'interprète humain se retrouve aussi
dans une position de conteur, en charge du récit comme le poète
grec. Se joignent à lui des musiciens live : voix et violoncelle
accompagnent Antigone tandis que le drame d’œdipe se déroule au son
du cuivre et de la guimbarde. C'est bien à du théâtre qu'on
assiste, et les comédiens, lorsqu'ils incarnent de temps à autre
leur propre rôle en s'adressant à l'objet qu'ils manipulent, sont
là pour nous le rappeler. Les membres de la compagnie Les Anges au
plafond, se situant dans une dynamique de recherche autour de l'art
en pleine expansion qu'est le théâtre de marionnettes, parviennent
à maintenir le public en haleine et à le faire passer du rire aux
larmes, en lui offrant à voir et à ressentir une tragédie
émouvante ponctuée d'éléments d'un malin comique, très souvent
à-propos ou décalé, quelquefois presque burlesque pour certains
personnages - le roi Créon, ses trois sentinelles,
l'oiseau-prologue... L'humour vient ici tantôt comme outil de
parodie du pouvoir tantôt pour lâcher du lest du haut de la pièce
qui tendrait à devenir excessivement pesante ou grandiloquente.
On
assiste donc à une réadaptation de deux mythes d'une manière tout
à fait originale et qui parvient à toucher juste. « La
marionnette est un médiateur génial pour dire des choses que ne
pourrait pas dire l'humain » déclare Brice Berthoud.
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