L'éternel retour du même par Violette Doire
L'exposition
Cosmographie, organisée par Apollonia : plate forme de
coopération dans le domaine des arts visuels entre les pays
européens, présente 3 artistes, tous originaires de Réthymno,
grande ville Crétoise. Leur lieu d'origine mis à part, un autre
point commun qui relie les artistes est, tel que le cite les
commissaires de l'exposition Maria Marangou et Dimitri
Konstantinidis, « leur définition des limites du visible et du
métaphysique, la structure d’une architecture palpable mais qui
peut également être allusive, scolastique et conceptuelle. »*
Le
travail de Nikos Alexiou s'inspire de la mosaïque du catholicon du
monastère d'Iviron au Mont Athos. Le Mont Athos est une montagne
sainte autonome : la république monastique du Mont Athos. C'est
aujourd'hui l'un des lieux les plus atypiques au monde et dans lequel
Nikos Alexiou a vécu par intermittence pendant six mois.
La
mosaïque sur laquelle N.Alexiou s'est penché a une place centrale
dans l'église. Vivant dans le monastère, il la traversait plusieurs
fois par jour, en parlant de celle-ci il nous dit : «You come
into contact with something and you don’t know what it is that
moves you… It could have been something else […] So the reasons I
chose it were related to my experiences of it, and with my
familiarity with it» (2) Il y a là l'idée d'un lien, d'une
relation à cette œuvre cultuelle, dotée d'un aura et non
transposable, qu'est la mosaïque. Il fera dans un premier temps un
millier de croquis, dessins de cette mosaïque intervenant comme
métaphore de la pensée nietzschéenne de l’éternel
retour du même : « répétition cyclique ad
vitam æternam de tous les événements (physiques et psychiques) de
notre existence, de la vie et du monde en général » (3)
qu'il décline de manière obsessionnelle
continuant ainsi le dogme de la pensée du philosophe. Aujourd'hui de
nombreux artistes traitent du lien entre art et architecture, « Les
jeux de construction des artistes s’élaborent le plus souvent à
partir des valeurs identitaires de l’architecture » (4) et
c'est ce que fait Nikos Alexiou avec cette mosaïque byzantine :
chercher son identité culturelle à travers le passé. L'exposition
Cosmographie présente cinq panneaux de mosaïque produit par
informatique aux couleurs psychédéliques ou en noir et blanc ;
une ribambelle de cylindres en plastique suspendue sur une branche de
bois d'environ 3 mètres ; tel un retour aux sources et
contredisant la technique précédente, une dentelle dont la matière
est entièrement fabriquée par l'artiste et enfin un plan
architectural suspendu en roseaux. Chacune des pièces est donc une
déclinaison de la mosaïque du catholicon du monastère d'Iviron.
Questionnant la reproductibilité technique de l’œuvre (essai de
Walter benjamin) la mosaïque devient installation, dessins
informatiques, tapisserie antique ou architecture archaïque. Bien
que d'abord intéressée par la surface et le motif géométrique,
point central des déclinaisons, l’œuvre d'Alexiou n'en garde pas
moins une dimension symbolique où « Anyone can find any symbol
they like in there. Meaning you see something and say: “Ah, that’s
a garden” or a universal symbol. It’s whatever you see"(5).
L'artiste nous laisse ici une ouverture large d’interprétation,
toutefois hors contexte visuel, son œuvre fortement intellectualisée
peut paraître, aux premiers abords, difficile d’accès à un
public non averti. Il s'agit donc bien de s'ouvrir à un cosmos,
comme l'indique le titre de l'exposition, mais ici culturel pour
apprécier pleinement cette œuvre poétique et complexe.
*
Catalogue d'exposition Cosmographie, p.12
(1)
Mont Athos, wikipédia
(2)
interview de Nikos Alexiou par Vassilika Sarilaki, 2007. « Vous
entrez en contact avec quelque chose et vous ne savez pas pourquoi
cela vous remue ... Cela aurait pu être autre chose [...] Donc, les
raisons pour lesquelles je l'ai choisi sont qu'elle était liée à
mon expérience, et ma familiarité avec elle »
(3)
http://djaphil.fr/textes/leternel-retour-du-meme-nietzsche-386
(4)
Collection art et architecture, Frac centre, Marie-Ange
Brayer.
(5)
interview de Nikos Alexiou par Vassilika Sarilaki, 2007.
« N'importe qui peut trouver n'importe quel symbole qu'il aime
là-dedans. Autrement dit, vous voyez quelque chose et vous vous
dite : "Ah, c'est un jardin» ou un symbole universel. C'est ce
que vous voyez. »
The End de Nikos Alexiou par Dorine Bonnefoy
L'exposition
Cosmographies, organisée par l'association Apollonia, réunit
trois artistes crétois dans le cadre du projet « e.cité »
consacré cette année à la ville de Rethymnon, située au nord de
l'île grecque. Trois plasticiens proposent leurs œuvres au Hall des
chars, et invitent les spectateurs à observer, écouter et
s'interroger. Les questions soulevées tournent en particulier autour
de la place de l'homme et de sa réaction face à son environnement,
à ses semblables et à lui-même. Les artistes s'amusent à
rapprocher des termes opposés : le visible et l'invisible, le
palpable et l'impalpable, l'isolement et le rapprochement, le
physique et le spirituel.
Le travail de Nikos Alexiou développe ces points en confrontant le spectateur à une œuvre empreinte d'une aura mystique malgré sa forte présence physique. The End envahit l'espace et fait appel à différents matériaux, allant de la simple baguette de métal au programme informatique. Elle exalte la vue par ses couleurs et incite à s'approcher, à toucher. L'artiste adopte une approche presque scientifique. Il dissèque les mosaïques du monastère grec d'Iviron dans lequel il a séjourné. Il les remanie, les ré-interprète, les développe, les démultiplie et en fait des plans détaillés. Il offre ainsi un éventail de déclinaisons sur un même thème, une analyse minutieuse des formes.
Mais
ni la matérialité empirique de l'œuvre ni le travail pointilleux
de Nikos Alexiou ne nuisent à l'impact émotionnel de sa création.
L'aspect fragile des installations donne une impression de
lévitation, les dessins colorés des mosaïques absorbent le
regard. The End plonge le spectateur dans une forme de
contemplation. La répétition des motifs nous installe dans une
sorte de transe. On pense aux enchevêtrements de cercles des
mandalas bouddhistes et hindouistes. On se laisse porter par l'image
céleste qu'évoque les points reliés entre eux, se réunissant en
constellations. On se trouve pris dans un labyrinthe de formes où la
transparence et la lumière sont modulées, apportant une légèreté
religieuse à l'ensemble.
Cette œuvre étudie les mécanismes qui provoquent l'émotion. Elle explore les moyens de transmettre l'invisible, la sensation, l'idée. En exposant les phases de ses expérimentations, Nikos Alexiou présente des éléments qui, réunis, insufflent le spirituel à la matière.
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