Giorgos Gyparakis ou l'idée d'un Sculpteur-poète
par Anaïs Roesz
Le
hall des chars abrite les œuvres de Nikos Alexiou, Pavlos Fysakis et
de Giorgos Gyparakis du 23 octobre au 9 novembre 2012. Ces trois
artistes, tous originaires de Réthymno ont étés invités par
Apollonia, (« structure
autonome dont le fonctionnement repose sur une coopération étroite
avec d’autres partenaires européens, intra et
extra-communautaires »1),
dans le cadre du projet e-cité.
Au titre de l'exposition « cosmographie », on pense d'emblée au sens propre qu'est l'astronomie de position, géométrique et descriptive. Pourtant ce terme peut prendre un sens plus réaliste, et notamment celui d'échanges d'expériences. Il semblerait que cette idée d'échanges d'expériences soit la plus précise pour parler des volumes sensibles de Giorgos Gyparakis2.
Comment ne pas se laisser emporter par les installations de Giorgos Gyparakis ? Il nous mène hors de ce monde clos qui d'ordinaire nous entoure, pour aller directement vers un univers poétique, utopique, sensible et zen.
Par la poésie de ses
volumes, l'artiste se place contre la société de consommation et
contre l'aliénation de l'individu. Idée qu'il cherche délibérément
à abandonner au profit d'un monde plus serein, à l'écoute de soi
et des autres.
Dans cette recherche d'une cohésion entre le corps et l'esprit. Giorgos Gyparakis nous plonge dans des installations qui reprennent la morphologie humaine.
Il nous présente "The
Island", une île perdue, sans commerce, sans argent et dont
la forme rappelle Bouddha assis.
Il met en place différents environnements, comme le" Fisherman's pleasure", pour palier à l'ennui qui risque de sévir dans cette île. La résine en faux granite est son matériau favoris, matériau sur lequel semble encore perler quelques gouttes de pluies. Cette brillance de la résine rappelle l'eau de la mer. Mais que serait cette impression sans le bruit de celle ci ? Chacune des installations propose un son, un bruit, un phénomène.
Ce son varie et se
transforme en fonction de la personne qui l'actionne. Les œuvres
sont alors uniques, authentiques. Dans ce siège dans lequel on
s'assoit, il faut faire basculer la canne à pêche pour avoir
l'impression que les vagues refoulent sur les rochers.
Un autre dispositif fait
mine de balancier. Une fois encore, c'est notre corps qui permet de
l'actionner. On se penche de chaque côté, à notre rythme. Sous ce
balancier sont disposés des cousins d'air, desquels sortent des
sons.
Là encore, Giorgos Gyparakis accroit nos sens et notre plaisir. Quasiment tous nos sens sont en éveils. La main touche, l'œil regarde, l'oreille écoute, le corps entier est happé dans l'œuvre. C'est à la fois le dispositif mais également l'expérience qui font œuvre.
Il nous présente un
paysage de sculptures musicales animé par le corps. Ces
« instruments » qui obéissent à de très légères
sollicitations, amène le visiteur vers cette expérience. Le
spectateur devient alors le sujet et l'acteur d'une performance.
Giorgos Gyparakis est un Sculpteur-poète. Le sculpteur façonne un
matériau tandis que le poète parle à l'imagination et à la
sensibilité. Giorgos Gyparakis combine ces deux talents. Il a l'art
de suggérer les sensations, les émotions les plus vives par l'union
intense des sons, comme s'il s'agissait de vers.
Le « ne pas toucher » d'ordinaire associé au musée est mis à mal. L'artiste invite très clairement le spectateur à profiter de ses œuvres, et à les manipuler. Le concept est tel, que l'on sort de l'institution muséale qui empêche l'expérience sensitive, et surtout tactile des œuvres. La légitimation de l'œuvre ne se fait alors plus uniquement par le regard avertis du spectateur dans l'enceinte du musée, mais bien par son appréhension directe. Pour conclure, il convient de dire que Giorgos Gyparakis est ce poète-sculpteur qui propose des volumes sensibles prêt à être appréciés à la fois par l'esprit mais également par le corps entier.
1Site
Apollonia : http://www.apollonia-art-exchanges.com
2Site
de l'artiste Giorgos Gyparakis : http://www.gyparakis.com/
Impression par Lucie Tornicelli
De massives sculptures
de pierre jalonnent l’exposition Cosmographies, et attisent la
curiosité. On s’en approche, on les scrute. Des blocs de pierre
brute, taillés de manière si subtile qu’ils semblent avoir subi
l’érosion. Leur forme organique leur confère un aspect ancestral,
primitif. Ils paraissent avoir toujours existé, arrachés à un
paysage minéral lointain. L’ensemble de courbes qui les compose
est d’une extrême douceur, aucune aspérité, la pierre si lisse
appelle au toucher. Les sculptures prennent alors une dimension
tactile, la roche à la fois imposante et gracieuse, comme polie par
les millénaires, semble s’offrir à nous pour une caresse et nous
inviter à un voyage dans le temps et dans l’espace. Un retour à
la nature, une nature primaire et apaisante. Un aspect brillant serti
la pierre, lui conférant un aspect marin et précieux. L’artiste y
a ajouté des éléments, un cor, une canne à pêche, des sacs d’air
ou un bâton de pèlerin, qui nous rappellent la contemporanéité de
ces pierres et leur statut d’œuvre. Et on ne touche pas à une
œuvre d’art.
La prise de connaissance de la démarche de l’artiste, Gyparakis, va complètement modifier nos premières idées concernant ces sculptures. Une contre-visite s’impose. Ainsi, ces monuments d’un autre âge seraient en fait les passe-temps des habitants d’une île utopique, imaginée par l’artiste. Il en crée la forme, la topographie et la place dans la Méditerranée. Ses habitants ne manqueront jamais de rien, tout y sera à leur portée. Mais dans une société où aucune compétition ni système financier n’existent, l’ennui peut vite pointer le bout de son nez. Gyparakis invente donc des routines. Ces sculptures sont destinées à divertir et apaiser, chacune avec sa propre fonction et son mode d’emploi. Elles prennent à présent sens. Mobiles, touchables, façonnés de résine, ces blocs de pierre qui semblaient si lourds sont en fait légers, à même d’être soulever, déplacer, utiliser. Nous nous plaçons au creux de la matière, blottis entre deux protubérances épousant les formes du corps comme pour ne faire qu’un avec son utilisateur. Nous embrassons la sculpture afin d’être au plus près de ses mystères. Nous y collons notre oreille, notre visage, afin d’entendre le murmure magique de l’œuvre d’art. Le calme son du ressac de la mer, l’apaisant mouvement de balancier et la douceur de la résine, toutes les sensations produites par ses sculptures visent à amener à la détente, à la réflexion, puis à la méditation. Mais l’engouement du spectateur pour ces « œuvres-loisirs » est tel que la phase méditative est souvent remplacée par l’excitation de découvrir un fonctionnement et de manœuvrer de l’art. Enfin la permission de toucher nous est accordée, et elle va au-delà, puisqu’il s’agit de jouer avec l’œuvre. La sculpture comme divertissement, elle nous transforme en grands enfants, avec cet empressement de savoir, de connaître, d’essayer, d’actionner. La succession des « Routines » se métamorphose en un parcours initiatique associé à un parcours de santé, le spectateur découvrant avec amusement ce que certains pourrait considérer comme de la désacralisation de l’art.
Cosmographies : Jouer le jeu ! par Anaïs Pichard
Rendez-vous a été donné à trois
artistes crétois au hall des chars dans le cadre de « e.cité
– Réthymno Arts et art de vivre crétois. »
Giorgos Gyparakis, Pavlos Fysakis et
Nikos Alexiou présentent des œuvres inspirées par leur île, mais
surtout par ce qui compose la complexité et la dualité de l’homme
dans notre monde actuel. Le matériel et le spirituel se concrétise
ici par les notions d’argent, de créations, ou encore de
territoires.
Quelles sont leurs attaches? Peut-on
questionner leurs arts, voir plus loin que leur simple racine
géographique similaire?
Entrer dans ce lieu, et sans se poser
de questions ontologiques, vous allez reconstituer un espace, un
quotidien pour des populations, alors les réponses viendront
d’elles-mêmes. Il faut déambuler dans cette salle qui, grâce à
des univers artistiques, recréé notre monde et sa diversité. En
effet cette exposition nécessite un spectateur actif, voire acteur
du déroulement de la création.
Face à leurs travaux il ne faut pas
rechercher de lien grâce à des quelconques connaissances, mais bien
à partir de votre imaginaire. Regarder une photo, s’asseoir sur
une sculpture, approcher une installation aérienne ; soit
apprivoiser un environnement qui est proche mais que nous connaissons
peu ou mal.
Dans le programme « Agoni
grammi », l’artiste Gyparakis encourage à une nouvelle
planification du quotidien dans une île utopique, rêvée.
L’interactivité est présentée sur le mur, où un mode d’emploi
affiche les règles pour s’amuser avec les sculptures. Pour
finalement adopter un nouveau comportement face à une œuvre, un
nouveau comportement qui est pourtant propre à un quotidien.
Pavlos Fysakis laisse percevoir à
travers ses photographies une réalité qui nous échappe. Des
paysages et des villes habités ou déserts. Il nous met face à des
visages et des panoramas qui nous observent, nous renvoient à leurs
réalités. Le juste milieu se fait alors entre projection et
observation. Naturellement et simplement il invite à se rendre
compte.
Nikos Alexiou a longtemps observé et
analysé les détails d’une architecture religieuse qui s’épanouie
maintenant sur des toiles ou dans les airs. Rester rêveur devant ces
compositions, puis regarder de nouveau ce qui vous entoure et
partager cet échange d’expériences avec les artistes. Poser vos
réflexions dans cet espace de jeu.
Le regard peut être amusé, critique
ou interrogateur, finalement ce qui lie le travail de chacun est bien
votre implication, c’est même ce qui détermine l’œuvre
elle-même. Un conseil, un état d’esprit, cette exposition mérite
un regard sans à priori, ni retenue, rester éveillés, et jouer
avec ce qui vous ai proposé.
« Routines » Entre τοπος et οὐ-τοπος par Torkil Charpentier
Présenté dans le cadre
de l'exposition Cosmographies au Hall des Chars de Strasbourg,
l'ensemble sculptural « Routines » de l'artiste
grec Giorgos Gyparakis invite, selon les termes de l'artiste, à
faire l’expérience de « jeux de plages transcendantaux ».
Ces objets sont supposés mettre en éveil nos sens, nous apporter
« relaxation » et stimulation « spirituelle ».
Ils sont accompagnés de notices illustrées, nous expliquant comment
en user. Les six « Routines »
proposent différentes activités et expériences : pêche à la
ligne, utilisation d'un bâton de pèlerin, sensation de tangage d'un
bateau, son de la mer, etc. Les sculptures, faites de plastique,
ressemblent à des grosses pierres polies par les ressacs, les marées
et les vents. Parfaitement ergonomiques, elles épousent agréablement
la forme des corps. Bien des questions se posent : ces objets
sont-ils réellement ce que l'artiste prétend ? Y trouvons-nous
vraiment un lieu privilégié pour l'exercice de la méditation –
cette « île sacrée » ? Est-il possible d'accéder
à la transcendance avec un mode d'emploi ?
Au-delà
d'une lecture au premier degré et strictement superficielle du
travail de Gyparakis – comme simple expérience physique et
douteusement méditative – les « Routines »
contiennent une part cachée, plus cérébrale : il semble qu'elles
mettent surtout en jeu l'idée de représentation. Bien que la
présence physique du spectateur soit convoquée, elles ne demeurent
pas moins images :
image de pierre, image de sons naturels, images de sensations
physiques précises, image du corps en méditation. Tout en vivant
effectivement les expériences proposées par l'artiste, le
spectateur intègre malgré lui cette image. L'artiste ne
« redessine » nullement le quotidien comme le ferait un
architecte ou un designer, il représente un paysage utopique –
paysage loin du tumulte de la ville, offrant des plaisirs simples et
simplement accessibles. Il fantasme un monde idéal, celui d'une
nature en harmonie avec l'Homme et adaptée à la paresse moderne,
permettant l'accomplissement spirituel tout en proposant le confort
du toit, du chauffage et du fauteuil. Aussi, comme le nom de
l'ensemble du travail – « Non-profit Line »
– le laisse supposer, il ne faut pas considérer ces objets comme
outils induisant quelque profit ; ils ne sauraient être réellement
utiles à une fin particulière, tout comme le sont l'art de la
peinture ou de la sculpture. En proposant de faire l'expérience de
l'illusion et de l'artifice, les « Routines » tendent
ainsi vers un art finalement plus traditionnel qu'ils n'y paraissent
– celui de représentation.
C'est
cet écart et cette ambiguïté – tension entre présentation et
représentation, entre topos (τόπος)
et u-topos (οὐ-τοπος)
– qui contribuent principalement à la singularité du travail de
Giorgos Gyparakis. Ses sculptures-objets paraissent ainsi tour à
tour aussi spirituellement sensées que banalement absurdes, aussi
grossièrement physiques qu'astucieusement contemplatives.
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