mardi 11 décembre 2012

Echanges aériens


Jérémy Couvez / Julia Talcott


« Strasbourg-Boston » : un duo historique qui dure depuis quelques années maintenant. À l'initiative du chef d'orchestre Charles Munch, c'est en 1960 que le jumelage entre les deux villes fut entièrement scellé. Cette amitié rapprochée se fixe dans de nombreux partenariats liés à la recherche et à l'université, à la jeunesse, ainsi qu'aux échanges culturels et artistiques. 

Cette année, sous la forme d'un jeu et sous l'égide des artistes Alain Eschenlauer et Ann Forbuch, une cinquantaine de plasticiens ont relevé le défi de cette amitié, en créant d'étranges duos qui semblent prendre la forme du cadavre exquis. 

The par avion project montre des espaces picturaux tout droit partis vers l'étranger, où 50 artistes (25 par ville) s'expriment par deux. Ce travail au-delà des frontières devient le symbole d'un échange aérien. Plus que des duos, les réalisations deviennent des œuvres croisées, mélangées, co-produites. Cette interaction entre les artistes s'est déroulée en plusieurs phases. Ils ont d'abord créé une œuvre sur papier de 40,5cm x 51cm. Ces œuvres de base ont ensuite été réparties de façon aléatoire entre les artistes qui ont ajouté une nouvelle couche visuelle à celle d'origine. Après cette seconde phase, les œuvres ont été ré-envoyées, telles des messages dans les airs, pour être achevées. L'exposition montre des œuvres où les différentes techniques cohabitent à merveille. Chacune des réalisations oscille entre abstraction pure et nus classiques, entre dessin, peinture, gravure et collage. Chacune des réalisations révèle un message, une multitude de pratiques, de techniques, de thématiques, mais dévoile surtout l'engagement des plasticiens. 

L'idée de processus est ici inhérente à l'œuvre. Jérémy Couvez, par exemple, s'est prêté au jeu du dialogue avec Julia Talcott. Le rendu est énigmatique. Jérémy Couvez explique : « Je ne voulais pas que cela soit trop figuratif pour laisser le champ ouvert. Peut être que ma volonté était non pas de faire un dialogue par la figuration d’un élément réel, qui aurait ouvert une narrativité, mais plus d’ouvrir un dialogue formel ». Chacun de ces deux artistes semble avoir adopté et dompté le message artistique de l'étranger avec qui il est obligé de composer. 

Le duo entre Élise Gessier et Daniel Embree, raconte une toute autre histoire. Leur dialogue semble s'effacer sous des couches denses, où traces et matières ne semblent plus faire qu'un. Daniel Embree est allé loin dans sa démarche puisqu'il a totalement recouvert le geste d’Élise Gessier. On ne sait si l'artiste a apprécié ce geste, mais elle a du l'accepter puisque cela fait partie des règles du jeu. Chez Zhuatao Ning et Lyell Castonguay, le papier paraît griffé, déchiré. Le duo semble pris dans un tourbillon de vie. 

Il y a donc deux façons d'interpréter le projet « par avion ». Soit l'artiste qui commence l'œuvre laisse d'emblée un espace vide pour son "duettiste", soit il travaille le fond comme dans le process du tirage, de l'impression. Selon les propres mots de l'artiste Jérémy Couvez : « ils ont pensé le travail comme une succession de couches pour former le dialogue final. » 

Les artistes invoquent l'idée du cadavre exquis, mais transforme ce jeu en des duos surprenants. Les couples d'artistes qui se sont formés au hasard ont du se contraindre et jouer avec les différentes propositions. 

Ces cadavres exquis outre-Atlantique transformés, donnent un aperçu de ce qui se fait dans le champ artistique entre deux continents. Le point commun est que chacun des artistes engage son corps et sa tête dans sa pratique, et s'ouvre constamment à de nouvelles possibilités. Le regardeur est transporté d'un bout à l'autre de cet échange aérien et peut rêver, analyser, comprendre, être surpris.


Anaïs Roesz



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