mercredi 19 décembre 2012

Cosmographies

Cosmographie, ou l'écriture d'un univers utopique par Charlotte Bolidum


Le travail de trois artistes contemporains Nikos Alexiou, Giogos Gyparakis, et Pavlos Fysakis, issus de la scène artistique crétoise est présenté dans l'exposition Cosmographie. Cette dernière se déroule au Hall des Chars sous la direction d'Apollonia, plate-forme Strasbourgeoise de coopération dans le domaine des arts visuels entre les pays européens.

À travers une révolte pacifiste, véritable réponse à une crise identitaire européenne, ces artistes créent un monde de tous les possibles, un monde onirique, pour fuir et décrier celui dans lequel ils vivent et retrouver une harmonie originelle. Dans leurs œuvres ils tirent un trait sur des troubles existants. Une simple ligne qui finit par dessiner le contour d’une idéologie. L’équilibre. La ligne devient lien, connexion entre deux extrémités, puis trois, puis quatre, et finalement réseaux entiers. Ces échanges de flux se recentrent sur l’humain et son rapport à la nature, dans la création d’un univers utopique.

Nikos Alexiou par exemple crée des motifs imprimés et des maquettes en volume à échelle humaine à partir de matériaux naturels. Il se base sur l’art de la répétition des lignes et des formes géométriques. Les objets deviennent de véritables cartographies de l’esprit, représentant le cheminement de la pensée. D’un autre coté, les sculptures de Giogos Gyparakis, permettent au spectateur lui même de créer son propre langage, il sollicite son propre imaginaire à travers le touché, la manipulation ou encore le jeu. Les connexions sont sensorielles. Les sculptures, en similis de rocailles arrondies et polies, désacralisent l’art tout en lui conférant un statu thérapeutique. Le spectateur cherche un bien être, un équilibre psychologique à travers l’expérience des objets de l’artiste. Le travail photographique de Pavlos Fysakis, quant-à-lui, reprend des clichés réalisés au chaque coins de l'Europe. Il crée un répertoire d’images sur l'identité européenne et les limites qui la régissent. Ses paysages se composent sur une ligne d'horizon fixe, qui replace le sujet paré de ses vêtements et accessoires traditionnels, au centre de la composition tout en suggérant une ouverture de champ. Cette ligne aux propriétés physiques et oniriques,  est ambivalente. Elle à la fois ligne de démarcation et de réunion de deux environnements, comme le rapport premier à la nature pourrait être dans la constitution d'une identité européenne collective.

La scénographie souligne la démarche commune des artistes. Elle reprend les lignes directrices évoquées par la carte posée au centre de la pièce et réalisée par Giogos Gyparakis. Une diagonale, symbolisée par une œuvre de ce dernier, et constituée de cerceaux emboîtés sur de sept mètres de long, vient diviser les volumes de la pièce. À une de ses extrémités, l’est, à l’autre l’ouest. À travers cette topographie les œuvres communiquent, se répondent et se complètent. Non identifiées (ni par des cartels, ni pas leur emplacement dans la salle), elles se créent une nouvelle identité fonctionnant sur le principe du réseau, encore une fois.

C’est une exposition qui témoigne donc de la puissance de la ligne et de la notion d’équilibre et d’harmonie qu’elle implique. Elle est directement présente au sein de la nature. Nature qui finalement ici, est utilisée dans un esprit très mythique, voire mythologique. Elle est le vecteur permettant aux artistes de créer leurs propres signes, véritables alphabets personnels et engagés, qui déterminent l’hypothèse de nouvelles identités au sein d’univers utopiques.


Espace de découverte entre identité européenne et nationale par Esther Fernandes Vilela


L’itinéraire mène à un bâtiment rouge brique, aussi imposant de par sa couleur que par sa masse. Une fois passé la porte d’entrée, notre œil de spectateur curieux est immédiatement attiré par la lumière. Deux pas à peine pour que la blancheur de la vaste pièce épurée mais néanmoins habitée nous éblouisse. D’étranges objets, tous plus énigmatiques les uns que les autres, peuplent cette endroit clos. Pourtant la sobriété de la disposition des œuvres profile le sentiment d’être en pleine air. Il y a de la place pour respirer, presque pour gambader d’œuvre en œuvre. La répartition hétéroclite permet la réflexion, la digestion entre les différents objets, ce qui est d’autant plus important que l’exposition regroupe trois artistes différents. Leurs créations se dispersent pour mieux se contrebalancer, pour mieux se mettre en valeur en tant qu’œuvre d’art autonome, mais aussi pour se mélanger de manière à se répondre et ne plus former qu’un ensemble cohérent.

L’exposition « Cosmographie » emplit autant les mures que le centre de la pièce. Ces premiers accueillant principalement des œuvres en deux dimensions, telles les photographies de Pavlos Fysakis et les structures de mosaïque de Nikos Alexiou. Comme une muraille ils englobent les installations « centrales » et se répondent entre elles. L’accrochage, quatre cardes photos formant un cube suivi de deux autres plus grands, se rejoignent en diagonales aux quatre coins de la pièce. Tandis que deux ou trois mosaïques numériques se placent à leur côté pour se répondre, elles aussi en une diagonale. Elle reflète non seulement les quatre pôles opposés de l’Europe, sujet des photographies, mais les couleurs primaires des trois plans architecturaux contrastent avec leurs jumelles en noir et blanc. Ces contraires sont non seulement significatifs de la pureté de la couleur tout comme sa parfaite absence. Elles sont aussi un jeu sur un motif autant égal qu’unique. A l’extrémité de l’autre « diagonale » le spectateur peut découvrir une sculpture accrochée au mur ainsi que l’œuvre « The Island » de Giorgos Gyparakis. Deux reliefs de cartographie d’une montagne en bronze trônant sur un petit banc mural pendant qu’une île ayant la forme de Buddha semble flotter entre elles.

Au centre de la pièce sont dispersé les œuvres de Gyparakis et d’Alexiou. Le spectateur peut vagabonder entre la dentelle de mosaïque, la sculpture en bambou, les dalles de résine, le banc musical, la flèche multicolore géante… Non seulement le visiteur est invité à passer, de sauter d’une œuvre à l’autre mais il est aussi convié à leur donner vie. Les œuvres de Gyparakis sont conçues pour une interaction, pour une immersion totale dans la tranquillité et la sobriété paisible qu’elles dégagent. Assis dessus, entrelacé avec elle… pour un bref instant le spectateur fond dans ces sculptures aux formes organiques. La référence à la mer, à la quiétude, à l’idylle qui se retrouve dans ces pièces claires aux formes organiques contrastent avec les formes géométriques de la flèche ou de la sculpture de bambou.

Comme l’indique son titre cette exposition, investit l’espace, elle crée un univers dans lequel les œuvres d’arts s’opposent autant qu’elles se répondent, que ce soit dû à leur forme ou encore à leur message. Elle est spatialement comme pratiquement pensée pour tout public, grands et petits, connaisseurs et amateurs, étrangers ou résidents. Que le spectateur se prenne au jeu des œuvres de Gyparakis ou s’interroge sur la question de l’identité européenne des photographies de Fysakis ou encore qu’il se laisse emporter dans le tourbillon des motifs d’Alexiou, il ne pourra en ressortir qu'aéré.


« Cosmographies » d'automne 2012 

par Gladys Vantrepotte


La pierre devient sensuelle, la roche épouse le corps, le marbre se fait léger. De fragiles brindilles reconstituent des monuments architecturaux. Des photos aux cadrages similaires qui scindent l'image entre terre et ciel, nous donnent à voir les extrémités d'un continent, les frontières entre l'inconnu et le familier. Une tension se joue entre des oppositions, des contrastes prennent forme entre les objets, leurs caractéristiques et leur portée sémantique. L'exposition semble implicitement se placer sous le signe du paradoxe, voire de l'oxymore. C'est de cette tension que naît l'intérêt du spectateur, qui commence à entrer en communication avec une œuvre dès lors qu'il l'a suffisamment observée pour en percevoir ses décalages, sa non-normalité, et pour substituer ces nouvelles informations à celles de son premier regard lorsqu'il pénétra dans la salle.

Les œuvres qui de prime abord semblaient avoir été éparpillées, disséminées selon un ordre d'occupation de l'espace relativement aléatoire, prennent, au fur et à mesure que l'on chemine parmi elles, sens et résonance de l'une à l'autre. Des liens se tissent entre les œuvres comme entre les différents artistes invités pour l'occasion, comme entre les villes représentées dans cette « cosmographie », et comme entre les deux organisateurs de cette exposition présentée au Hall des Chars de Strasbourg : le Musée d'Art Contemporain de Crète et la structure Strasbourgeoise Apollonia. Si chacune des pièces des artistes grecs présentés fonctionne indépendamment, leur cohabitation crée de nouvelles évocations et significations qui se situent précisément non pas au sein de chaque travail, mais en suspens entre eux. La lecture de l'exposition se fait dans ces espaces vides qui relient les ouvres entre elles, de même que la notion de continent, de monde, d'identité géographique se conçoit grâce aux frontières qui séparent et relient tout à la fois les territoires entre eux. Pour réaliser une cosmographie il faut en agencer plusieurs. Des œuvres au sein d'une exposition comme des territoires au sein d'un territoire, la question est posée : s'agit-il d'identité ou d'identités ?

Si les photographies de Fysakis, qui tentent de dresser un portrait de notre continent par de multiples portraits, questionnent ce thème sous l'angle européen, ce qui se trouve être d'une redoutable actualité, en revanche les dessins de relaxation, les galets méditatifs et les images de Bouddha de Gyparakis, bien que faisant écho à une culture asiatique, paradoxalement se trouvent être davantage universelles. En effet les mœurs et les modes de pensée parcourant le monde, les spectateurs se retrouvent face aux lieux communs que sont ceux de la méditation démocratisée, de l'oisiveté glorifiée, de la mise en valeur du banal et du quotidien... Sont-ce ces notions qui forgent une espèce d'identité mondiale et permettent de tracer une cosmographie tandis que nous déambulons et appréhendons ces œuvres ?

Cependant l'aspect introspectif de la méditation qui nous est proposée parvient à exister seulement tant que nous ne sommes pas au soir du vernissage, bien trop fréquenté pour nous laisser vagabonder. Si l'art peut avoir une finalité intellectuelle, réflexive, méditative...s'atteindrait-elle par l'expérience sensible, le toucher des œuvres, l'interaction ludique permise par des œuvres suscitant la curiosité et l'action du spectateur ? Ici le mot « paradoxe » résonne une fois encore, doucement.


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